Article rédigé par Alexandre
le WergeldPar Clymodule, sugère de Besmonias, docteur en histoire de la grande université de Pôle, trois fois lauréat du Prix Myriel dans la catégorie étude des peuples barbares. D'après les carnets de voyage de Sormion Perdias, explorateur de la guilde des cartographes, mort dans les environs de Byrd.
Prologue
Lord de mon septième voyage dans le Grand Nord, alors que mon périple m'avait amené dans la région dite du Fleuve Blanc afin d'y repérer tous les villages installés le long de ce majestueux cours d'eau. Je fus témoin d'une expérience unique. Je comptais rallier les montagnes jumelles jusqu'aux sources du fleuve et jusqu'à lors ma petite troupe (4 hommes, tous alweg, habitués aux conditions climatiques extrêmes de cette région) avait réussi à éviter d'attirer l'animosité des Thunks aussi bien que des Piorads. Qui ici comme ailleurs se livraient à une guerre d'usure des plus sanglantes et ce quelle que soit la saison.
Cela faisait déjà trois semaines que nous longions les rives du fleuve quand nous arrivèrent en vue du village de Weissbrücke (du nom d'une étrange concrétion de roche qui au plus fort de l'hiver semble dessiner une silhouette d'arbre de glace au dessus du fleuve). Nous nous acquittèrent du péage demandé par les cavaliers qui ne tardèrent pas à se presser à notre rencontre… c'était là le prix à payer pour ne pas être sur le champs taillé en pièces ou jeté en pâture aux chagars. D'ailleurs, une fois acquitté de cette obligation nous fûmes plutôt bien accueillis, selon les critères de l'hospitalité Piorad, cela va sans dire.
L'attitude la plus intelligente à suivre était de faire profil bas, de se contenter de répondre de façon cordiale et concise à toute invective, et surtout baisser les yeux devant toute personne qui vous regardait avec une curieuse insistance. J'obtins du Warjarl local de pouvoir passer la nuit au village avec ma compagnie au prix d'une harassante diplomatie à sens unique, qui fut largement favorisée par la circulation de quelques dizaines de Cestes, et dont la conclusion, avec une vigoureuse accolade virile et quelques chopes, me laissera quelques traces.
Un verre en entraînant un autre et ne pouvant pas se dérober à cette coutume on ne peut plus sacrée chez les Piorads, je me sentais lentement mais irrémédiablement sombrer dans l'euphorie ambiante. Pourtant peu à peu le fil de la conversation, qui j'en suis sûr devait être des plus instructives (je ne manquais en effet aucune occasion de m'instruire aux côtés des érudits Piorads, très au fait de la géographie de leur pays), je me laissais peu à peu appeler par le sommeil.
Puis, soudain, je fus tiré du plus profond de ma torpeur par des hurlements semblables à ceux d'une bête sauvage. Visiblement l'expression de quelque franche camaraderie venait sans crier gare de tourner au vinaigre, comme toujours me direz-vous.
Des paroles plutôt fortes s'accompagnèrent rapidement de gestes de la main, des coups de pieds puis de diverses autres surfaces corporelles. Enfin, les lames sortirent, comme l'éclair jaillit au cœur de la tourmente et bien que les protagonistes se trouvaient dans un état second, proche de l'hébétude, leur détermination (pour ne pas dire desinhibition) ne faillit en rien.
Mon sens de l'équilibre quelque peu réduit, j'eu tout de même un réflexe de survie qui me guida hors du champs de bataille où les coups pleuvaient de toute part, même sur les innocents qui tentaient d'éviter cette folie. Les laissés pour compte de la bagarre générale, qui eux se dirigeaient vers le cœur du problème, me bousculèrent sans ménagement et je me retrouvai les quatre fers en l'air tandis que certains tentaient de maîtriser les divers forcenés.
En fait, à y réfléchir, je crois que cela n'était pas aussi clair que cela, car chacun des groupes qui s'était promptement formé semblait recevoir plus de renforts (hommes, femmes et même enfants) que d'appel à la raison. Tout semblait au bord de l'explosion, quand un murmure parcouru la foule et qu'arrivèrent les soldats d'élite aux yeux brûlants.
Leur arrivée doucha l'ensemble des belligérants car aucun n'étaient de taille à s'opposer à ces terribles guerriers. Et il fut bientôt temps de compter les blessés (15) et les morts (2), ce qui semblait commun pour les Piorads ici réunis. Mais hormis l'intérêt purement descriptif et édifiant de cette soirée, pourquoi vous conter une telle histoire qui ne traite après tout que d'un sujet connus de tous ? Et bien pour ce qui suivis le lendemain et qui modère ce que nous pensons savoir de ce peuple rustre.
La justice Piorad en action
Au lendemain des faits, le réveil fut des plus durs au village de Weissbrücke. Il s'agissait maintenant pour les acteurs du drame de répondre de leurs actes devant les institutions dirigeantes de la communauté. Particulièrement furieux le Warjarl Igmar prit la décision de réunir le conseil du village qui rassemble à la fois des guerriers, des chefs de famille, l'âme du village (la seule femme à pouvoir prendre la parole) et bien sûr le chef lui-même.
Ma curiosité ne fit pas un pli et j'entrepris de nouvelles tractations avec Igmar afin d'assister à ce moment aussi rare que privilégié de la vie de communauté. J'avais peu de chance en fait d'y être autorisé (les Piorads sont très méfiants envers les étrangers et intolérant à l'extrême envers toute forme d'ingérence), mais j'y parvins à force de flatteries et de cadeaux.
Le Warjarl, fier et ivre de flagorneries, me conduisit jusque dans sa demeure où, à la tête du conseil, il allait rendre justice jusqu'au couché du soleil. Il serait alors difficile de vous décrire précisément tout ce qui a été fait et dit durant cette journée, d'ailleurs je n'ai pas compris toute les subtilités du droit Piorad, qui bien que rédigé pour mémoire par des Runes sur des peaux de rennes (sous forme symbolique comme le laisse à penser mes quelques rudiments de Langue Piorad) est sujet à de très nombreuses interprétations voire contradictions. Voici pourtant ce que j'ai pu extraire de plus pertinent de cette journée, et des quelques informations complémentaires glanées après coup auprès de personnes instruites en la matière.
Le Wergeld (Prise du sang en dialecte Piorad)
"Wergeld" est le terme couramment utilisé en dialecte Piorad pour désigner la rétribution pécuniaire versée au regard du préjudice matériel ou moral subi et destiné à interrompre le droit de vengeance normalement permis par la coutume. C'est donc une forme d'arrangement plutôt juste et intelligente contractée entre deux familles (payable aussi bien en monnaie qu'en nature) pour éviter les guerres privées sanglantes et interminables qui peuvent parfois ruiner la cohésion d'un village (et faire le jeu de leurs ennemis…).
Au départ c'était une tradition orale commune à tout le peuple Piorad qui s'affina indépendamment pour chaque nouveau cas et pour chaque village. Les cas les plus courants finirent par être couchés sur le papier pour servir de référence à l'avenir (jurisprudence ?).
Le seul défaut de la méthode est qu'il existe de ce fait un code spécifique à chaque village, même si le principe reste généralement identique. De toutes façons, toutes tentatives d'uniformisation s'est toujours irrémédiablement soldée par un échec. Les Piorads semblent en effet très attachés à leurs traditions locales.
Voici donc plusieurs exemples de cas et les rétribution pécuniaires qui y sont associés. Il est tout de même intéressant de noter que quelques cas sont prévus pour des non Piorads en litige avec un Piorad. La rétribution est alors multipliée par 5 voire par 10 !
Les Blessures | Coût (Klidors) |
A mains nues, sans avoir fait couler le sang | 5 |
A mains nues, jusqu'à faire couler le sang | 10 |
Avec une arme contondantes, sans avoir fait couler le sang | 10 |
Avec une arme contondantes, jusqu'à faire couler le sang | 20 |
Avec une arme tranchante, sans répandre le sang sur le sol | 20 |
Avec une arme tranchante, si le sang a été répandu sur le sol | 50 |
Avec une arme de Jet ou de Tir | 40 |
Avec une arme empoisonnée | 100 |
Main fracturée | 75 |
Bras fracturé | 150 |
Jambe fracturée | 200 |
Crâne fracturé | 350 |
Blessure à l'abdomen ou au torse qui touche un organe interne | 300 |
Blessure qui persiste au bout de 10 jours | 75 |
Blessure qui persiste au bout d'un mois | 150 |
Blessure qui persiste au bout de deux mois | 300 |
Les Mutilations | Coût (Klidors) |
Doigt coupé (par doigt) | 20 |
Oreille coupée | 30 |
Main coupée (*2 si main d'arme) | 100 |
Nez coupé | 50 |
Bras coupé (*2 si bras d'arme) | 200 |
Œil crevé | 150 |
Parties intimes | 500 |
Dents cassées (par dent) | 5 |
Pied tranché | 100 |
Jambe coupée | 250 |
Paralysie des membres inférieurs (par membre) | 150 |
Paralysie des membres supérieurs (par membre) | 200 |
Vols, meurtres et autres crimes | Coût (Klidors) |
Torture (en plus des blessures) | 500 |
Viol (pour chaque violeur) | 100 |
Vol d'un petit objet / d'un objet usuel | 5 / 10 |
Vol d'une arme ou armure (*2 si possession d'un chef) | 50 |
Vol d'un Cheval (*2 si possession d'un chef) | 150 |
Vol d'un Chagar (*2 si possession d'un chef), *2 si Grand mâle, *3 si Solitaire | 300 |
Vol d'un Sharak (*2 si possession d'un chef) | 1000 |
Vol de nourriture (par kilogramme) | 10 |
Destruction d'une habitation (partiellement / complètement) | 300 / 600 |
Meurtre accidentel (*5 s'il s'agit d'un chef) | 400 |
Meurtre avec tentative de camouflage ou de fuite (*5 s'il s'agit d'un chef) | 800 |
Meurtre abominable avec violence extrême (*5 s'il s'agit d'un chef) | 1000 |
Meurtre d'un animal | 75 |
Meurtre d'un Chagar | 800 |
Meurtre d'un Sharak | 2000 |
Meurtre d'un enfant de moins de 12 ans | 1000 |
Meurtre d'une femme enceinte | 2000 |
Un cas extrême et particulier : l'ordalie
Si aucun accord ne peut être conclu entre les parties (par refus du Wergeld, incapacité à verser la somme requise, manque de preuve, à la demande des familles, du chef, de la communauté) alors il peut être décidé que le conflit sera résolu lors d'une ordalie : un duel judiciaire.
L'honneur des familles étant en question, une telle décision n'est pas prise à la légère. Généralement, ce sont les personnes concernées qui prennent part au duel, mais chaque famille est en droit de désigner un champion à l'intérieur (ou à l'extérieur) de la famille. Il faut savoir que l'issue du combat fait office de sentence. Le choix doit donc être réfléchi. Cela explique également pourquoi peu de champions sont choisis à l'extérieur de la famille (cela pourrait encore aggraver le problème…). Mais la possibilité est laissé pour assuré une relative égalité des forces lors des duels, même si dans la pratique le combat est souvent très inégal.
Si un porteur d'arme n'est pas directement impliqué dans l'affaire, il lui est interdit d'être choisi comme champion (à part contre un autre porteur d'arme et uniquement dans ce cas).
Une fois les champions choisis, le combat a lieu dans une enceinte de 5 mètres sur 5 délimitée par une corde en crin de Chagar. Le choix des armes est laissé à l'offensé. Le combat est au premier sang ou à mort selon la gravité du cas. Le combat terminé et quelqu'en soit l'issue, le conflit est considéré résolu qu'il y ait eut réparation ou pas, il n'y a plus d'appel possible. Ce qui explique que le chef accepte rarement le duel, qui a tendance à favoriser les plus forts, mais quand il s'agit d'honneur un Piorad ne faillit en rien.
De toutes façon, être champion est un honneur rare (qui rapporte en terme de jeu trois points de prestige) qu'aucun Piorad ne laissera passer dans une vie, le contraire lui vaudrait d'être la risée de la communauté (la lâcheté est aussi mal vue que les meurtres).
Un autre cas : l'esclavage pour dette
S'il est impossible pour l'accusé de payer sa dette ou que le duel est refusé, en plus du déshonneur subi au regard de la communauté, le chef peut commuer la rétribution en esclavage au service de la famille offensée (ou de la communauté) pour une période de temps proportionnelle au Wergeld : environ 1 an pour 50 Klidor de dette.
C'est la plus grand déchéance possible pour un Piorad, voilà aussi pourquoi les cas se comptent sur les doigts d'une main (selon mes sources). Mais peut-être que cette option est préférée à la mort, parfois.
Conclusion
Fort de cette nouvelle expérience, je repartais donc le long du Fleuve blanc, suffisamment reposé par ces quelques jours passé au village de Weissbrücke et prêt à me lancer à l'assaut des montagnes jumelles.
J'avais hâte d'atteindre les sources du fleuve, mais tout aussi hâte de regagner Pôle pour leur faire part d'une telle découverte. Ce dont je venais d'être témoin était totalement aux antipodes de ce à quoi l'on pouvait s'attendre de la part d'un peuple aussi redouté que celui des Piorads.
Même si ce système ne réprime en rien la violence, mais au contraire la codifie et l'institutionnalise, cet aspect pourrait bien constituer un argument en faveur de l'idée d'une société pas aussi rude ou mal dégrossie qu'il y paraît.